Moi, j’aime bien André Daguin. Alors qu’il a quitté la présidence de l’UMIH et que son plus emblématique combat syndical vient d’être gagné, j’avais envie de tracer son portrait.
La première fois que je l’ai vu, c’est sur la couverture de son livre. Alors que j’étais jeune cuisinier, exilé à Paris pour parfaire mon métier, je passais beaucoup de mes jours de repos dans les grandes librairies. Surtout à la FNAC, car ce magasin était un des rares à l’époque qui laissait impunément feuilleter et lire les livres sur place. Je suis reparti avec le livre d’André, malgré mon modeste salaire de commis. « Le nouveau cuisinier Gascon » fut un des tout premiers livres de cuisine que j’ai acheté, d’abord parce que je suis aussi de ce pays de cocagne, et à Paris quand on reste cinq ou six mois sans voir les montagnes à l’horizon, cela pèse énormément. Ensuite parce que le titre faisait aussi référence à la nouvelle cuisine, et à tous ceux que j’admirais : Guérard, Girardet, Troisgros… Pour moi la cuisine gasconne, c’était celle de ma mère et de mes tantes. Cuisine ô combien savoureuse et nourricière, surtout les jours de grandes tablées de fête, mais hélas pas dans l’air du temps.
Avec Daguin, j’ai eu un choc, c’étaient les beaux produits de chez moi, mais pour une cuisine moderne, inspirée, qui me parlait avec un accent que n’avaient pas les grands maîtres du Nord, donc plus joyeuse. Le terroir, c’est une terre, mais aussi des hommes. C’est grâce à lui, puis ensuite sous l’influence de Ducasse et Dutournier, que la cuisine du Sud-Ouest a fini par être la référence nationale.
Par son invention du magret (je vous jure que c’est vrai, ma mère qui a gavé des bataillons de canards, n’en avait jamais mangé frais avant celui que je lui ai cuisiné, – auparavant seules les aiguillettes étaient dégustées le jour de l’abattage), il a dynamisé de façon incroyable l’agriculture et l’agro-alimentaire du Sud-Ouest. Il fut aussi un formidable ambassadeur des vins de son département.
Grande carcasse un peu raidie par les coups pris le dimanche sur les terrains de rugby, il se trouva très vite à l’étroit dans sa cuisine. D’un tempérament de chef et d’une certaine ouverture d’esprit, il s’intéressa assez vite à la chose publique ; le syndicat, puis la présidence de la Chambre de Commerce d’Auch. Il s’essaya à la politique, mais l’UDF de l’époque était bien trop à droite pour qu’il réussisse à se faire élire député de cette vielle terre radicale socialiste. Les chefs de sa génération, derrière Paul Bocuse, ont investi les médias à des fins publicitaires pour faire tourner leurs affaires, et se sont enfermés dans le club très sélect des ‘macaronnés’. Reconnaissons à André Daguin le mérite d’être sorti de sa cuisine pour défendre l’ensemble de ses collègues, du ‘routier’ au ‘trois étoiles’.
D’abord à la tête de la Fédération nationale de la restauration française (FNRF branche restaurant du syndicat), il commença à porter la revendication de la TVA réduite et accéda vite à la présidence de la FNIH, ancêtre de l’UMIH. Il succédait à Jacques Thé, brave homme s’il en fut, mais dénué de tout charisme, et inconnu aussi bien des médias que de la majorité de ses adhérents.
Le premier de ses objectifs fut de rassembler le plus largement possible. Le groupement national des chaînes (GNC) était déjà présent au sein de la FNIH mais d’une façon ambiguë, avec l’air de ne pas y toucher. Le nouveau président réussit l’exploit de les intégrer un peu plus, tout en arrachant des régions entières à la Confédération des professionnels indépendants de l’hôtellerie (CPIH, principal syndicat concurrent formé de avec ceux qui refusent la cohabitation avec les chaînes).
Il a su convaincre avec des métaphores du style « il est préférable de vivre avec un allié encombrant qui pisse hors de la tente, que de subir un nouvel adversaire qui pisse sur la tente ». Le succès est au rendez vous : une fois sur deux, la presse accole au nom du syndicat qu’il a rebaptisé UMIH (Union des métiers et des industries de l’hôtellerie) le qualificatif de « puissante ». Malgré des dirigeants de grande valeur, la CPIH a du mal à garder un maillage national. Ultra minoritaire, le SYNHORCAT (Syndicat National des Hôteliers Restaurateurs Cafetiers Traiteurs) reste un regroupement de grandes brasseries parisiennes et la FAGHIT (Fédération autonome générale de l’industrie hôtelière touristique) est surtout concentrée dans les stations de ski alpines.
Avec les qualités médiatiques de son président et sa force reconnue, l’UMIH a connu une visibilité sans précèdent et chacun peut s’en réjouir.
Le revers de la médaille de cette politique d’union est que cohabiter avec le rusé Jacques Belin, président à vie et de droit divin du GNC n’est pas sans risques. Par exemple, laisser à un membre des chaînes la représentation de l’UMIH au sein de la commission paritaire consultative qui gère les référentiels et la création de diplôme est une décision étonnante de la part d’un grand chef cuisinier qui devrait être attaché à une formation de qualité. On a bien compris que l’intérêt porté par les chaînes à la formation avait pour but de façonner le profil des diplômés à leurs besoins spécifiques.
André Daguin a eu avec les syndicats de salariés des relations houleuses dûes en grande partie à sa façon de s’exprimer plutôt franche. C’est pourtant sous sa présidence que le temps de travail a considérablement baissé, et qu’une sixième semaine de congés a été octroyée. Son souci sur ce point a été de protéger les intérêts des entreprises les plus petites.
On trouve sur le Net une déclaration choquante qu’il aurait faite au MEDEF ; elle m’étonne assez car que ce soit en six ou sept participations aux congrès de l’UMIH, ou en plus petit comité, je ne l’ai jamais entendu prononcer des paroles pouvant blesser mon humanisme. Peut-être pour plaire à son auditoire ou alors sorties de leur contexte. Je crois qu’il aime les gens et que, s’il s’est exprimé de cette façon, disons comme lui que c’était ‘une connerie’.
Il dirigea avec un certain autoritarisme, mais avec la volonté de convaincre. Je puis témoigner que, simple adhérent ou petit responsable local, j’ai toujours eu une réponse très rapide et personnelle par écrit ou par téléphone à mes courriers. Même si c’était parfois pour m’engueuler copieusement, ce n’est pas rien pour une structure de 80 000 adhérents !
Son activisme politique trop visible au service de Nicolas Sarkozy m’a gêné ces dernières années, mais bon, on peut dire que cela a payé pour l’ensemble de la profession et il y a prescription ! L’UMIH a montré par l’élection de Christine Pujol, femme de gauche, sa maturité et son ouverture. Ce n’est pas la remplaçante qu’il s’était choisi, – j’espère qu’il n’en a pas pris trop ombrage.
Je lui souhaite bonne retraite, et encore de nombreuses ferias à Vic ou à Dax…
Bonsoir monsieur l’aubergiste,
Je ne suis pas de votre parti politique mais j’ai lu quelques uns de vos articles que je trouve très interressants et enrichissants.
Quand à Monsieur Daguin, je me permet de me joindre à vous pour cet hommage. Sans entrer dans les détails, ce chef m’a enormément apporté et (sans aucune prétentions) me guide encore aujourd’hui…