Dès le 15 août de chaque année, le sous-secrétaire d’État chargé du Tourisme annonçait fièrement les chiffres glorieux de notre industrie touristique, la première du monde. Il semble bien révolu ce temps-là ! Les mauvais esprits se demandaient comment il avait pu les déterminer aussi rapidement, ces chiffres, mais comme c’était cela l’essentiel de son travail, on lui faisait confiance. Braves gens, vous pouviez continuer à bronzer sans inquiétude ; cette activité, championne de la rentrée de devise, fonctionnait toute seule sans que personne ne s’en occupe. Depuis quelques mois, un vent de panique souffle sur le tourisme français. L’autosatisfaction n’est plus de mise, et l’on découvre tout à coup que nous décrochons sur tous les classements. La restauration est en ligne de mire, mais il y a un malaise, surtout dans l’hôtellerie. Les nouvelles normes de sécurité, d’accessibilité et de classement en sont le révélateur, plus que la cause, car leurs échéances ne sont pas arrivées. Pour les deux premières normes, le législateur qui est souvent amené à travailler dans l’urgence de l’émotion a eu la main lourde, surtout pour les petits tablissements. Lourde à un tel point que Jacqueline Roux (présidente des Logis) affirme que la plupart de ses adhérents vont disparaître, en raison du contexte réglementaire. Que s’est-il passé pour que cette hôtellerie familiale et rurale, qui en vingt-cinq ans était passé du broc d’eau chaude, que l’on monte pour la toilette, à un confort tout à fait moderne, soit à ce point en danger ? Beaucoup de circonstances, parmi lesquelles il est difficile d’établir un classement, se sont jointes pour donner ce résultat.
Force est de constater que les héros sont fatigués, que la génération des enfants des bâtisseurs de l’après guerre est à l’âge de la retraite, et que leur propre progéniture est la première à rompre la tradition qui voulait que dans le commerce, l’agriculture et l’artisanat, le fils aîné récupère l’outil de travail. La pyramide des âges des hôteliers ruraux est sur la pointe. Un sentiment de lassitude et, de surcroît, la fatigue de l’âge font que beaucoup se sont démobilisés. Les mises aux normes obligatoires, parfois impossibles, et la frilosité des banques à financer, tant les travaux nécessaires que les acheteurs potentiels, menacent sérieusement la pérennité d’une bonne partie des entreprises.
L’environnement de ces hôtels de chefs-lieux de canton ruraux s’est malheureusement dégradé. Le commerce et les petites industries génératrices de nombreux repas et soirées étapes ont disparu… Comme ont disparu par ailleurs les comices et les foires agricoles dont l’auberge était le centre névralgique dès le casse croûte du matin. Les retraités, autrefois clients touristes de ces petits hôtels, ont été nombreux à acheter un camping-car. En bonne forme, ils ont élargi leur destination de voyage à la planète entière. Le tissu associatif des villages s’est énormément développé, mais n’a pas profité à ces lieux de convivialité. En effet, la loi qui interdisait aux bistrots d’abriter les sièges sociaux des clubs sportifs, afin de protéger la jeunesse, a eu pour conséquence d’introduire des troquets clandestins dans chaque stade. Pour se financer, les associations ont organisé toujours plus de repas dans des salles de fête flambant neuves, construites en masse par les municipalités trop heureuses d’éviter ainsi de devoir débourser trop de subventions. Le réseau d’autoroute, densifié, a modifié la donne des étapes, et les chaînes intégrées se sont installées en sorties des bretelles.
Jusqu’au milieu des années 70,la fiscalité de ces petites entreprises était assez… disons fantaisiste, avec un système de forfait négocié chaque année. Les choses ont bien changé avec la disparition des paiements en espèces, les impositions au réel et l’introduction de l’informatique au service des contrôleurs. Paradoxalement, c’est à ce moment-là que sont apparus dans nos campagnes les gîtes et les chambres d’hôtes, difficiles à contrôler sur ce point particulier. La rentabilité de l’hôtellerie de campagne existe le plus souvent au prix du sacrifice du couple d’exploitants ne comptant pas ses heures durant une bonne partie de l’année. Ce schéma social se trouve plus difficilement maintenant ; le sacerdoce au détriment des loisirs est peu prisé des jeunes. On peut se demander si ces structures sont encore viables, en l’état actuel du coût du travail.
Les causes du déclin ne sont pas toutes exogènes à la profession, loin s’en faut. Trop d’hôteliers n’ont pas su reconnaître des changements pourtant visibles. La tête dans le guidon, ils ne sont pas assez sortis de chez eux et n’ont pas pris conscience que leur offre n’était plus en adéquation avec la demande. La disparition d’une clientèle captive aurait du les inciter à faire preuve d’imagination pour en conquérir une autre. Mais cette capacité n’est pas donné à tout le monde et certains, au lieu de s’ouvrir aux vœux, – certes difficiles à cerner, des nouveaux consommateurs, se sont enfermés et aigris dans une posture défensive. Il me semble qu’une chaîne volontaire comme les Logis, pourtant (ou parce que) dirigée par des hôteliers, a mis trop longtemps à réagir. Les premières grilles de classement étaient remplies sur le coin du bar par l’animateur départemental. Et quand la rigueur nécessaire est arrivée, elle a fait office de machine à exclure.
Les gîtes ruraux et les chambres d’hôtes qui, depuis leur naissance (pour les premiers dans les années 70) ont contribués à la disparition des hôtels, sont également fragiles. Là aussi les agriculteurs pionniers ont vieilli. Les successeurs,quand il y en a, tributaires de leur métier principal devenu une industrie lourde, ont de moins en moins de temps à consacrer à leurs hôtes. D’autre part la campagne réelle est rarement en adéquation avec celle fantasmée par les citadins ; dîner tous les soirs à la table des maîtres de maison séduit un nombre limité de touristes. Les gîtes ruraux se résument le plus souvent à une petite maison au milieu de nulle part et qui garde ses volets fermés. « Le bonheur est dans le pré » disait-on, mais le tourisme vert a du mal à décoller. A quelques exceptions près, c’est la bande littorale qui draine la majorité des touristes ; même la montagne en été perd des parts de marché.
Le développement phénoménal des chambres d’hôtes peut faire illusion ; mais il a atteint ses limites, et je suis persuadé que leur nombre va fortement régresser.Le profil type de ces nouveaux hôteliers est un couple de baby boomers, jeunes retraités qui ont acquis une vielle ferme pour quitter la ville. Ils ont souvent vendu leur appartement de citadin : mais la rénovation dont ils rêvent coûte assez cher. Pourquoi donc ne pas profiter pour les travaux, des subventions offertes par les conseils généraux, pouvant aller jusqu’à des sommes très importantes ? Ensuite la location des 4 ou 5 chambres paiera une bonne partie de l’emprunt complémentaire. L’hôtellerie n’étant pas leur vocation première, ils se rendent compte rapidement que c’est un véritable métier. Recevoir les clients, faire le ménage et préparer les petits déjeuners oblige à être présent la journée entière, précisément à la période de l’année la plus propice aux escapades sur les chemins. Les fans des blogs culinaires qui avaient rêvés de jouer au restaurateur en ouvrant une table d’hôte déchantent vite : l’expérience dure seulement deux ou trois ans ! Cuisiner pour 10 ou 15 convives tous les soirs ne s’improvise pas. Malgré la beauté des chambres décorées avec goût, la commercialisation n’est pas évidente, et pour que le taux d’occupation soit conforme aux prévisions, il faut batailler dur… Les mensualités d’emprunts et le délai légal atteint pour arrêter, – sans avoir à rembourser les subventions, beaucoup seront heureux de retrouver la quiétude de la véritable retraite. Le renouvellement ne se fera pas. Les fermettes sont maintenant rares et chères. Dans le futur, les classes moyennes arriveront à la retraite plus tard, et moins privilégiées que la génération de soixante huit.
S’il y a des solutions pour sauver ce qui peut encore l’être, elles sont politiques. J’espère que l’aménagement de l’espace rural sera un sujet repris pendant la prochaine campagne. Faute de quoi, l’hôtel des touristes, de la poste, celui des vallées, de France, des voyageurs seront à jamais enfouis dans le coffre de nos nostalgies. Tout fout le camp !
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