L’éducation du marmiton

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Le magazine anglais « Restaurant » a dressé le palmarès des meilleurs restaurants du monde. Il est certain que ce genre de classement est très subjectif et sujet à caution, mais il faut bien constater que dans le « top ten » derrière Ferran Adria et son « El Bulli », il y a trois autres espagnols pour seulement deux français. Il est vrai que la géographie espagnole offre une grande diversité de produits agricoles, néanmoins, je vois une autre cause à cette suprématie. J’ai eu l’occasion de visiter une école hôtelière publique en Espagne ; j’ai été frappé par la qualité de leur enseignement. Depuis la très grande réforme opérée en 1990, leur système est différent du nôtre : jusqu’à seize ans, un tronc commun d’enseignement général, ensuite un choix assez diversifié de Bacs généraux, techniques, ou une formation qualifiante pour entrer sur le marché du travail. Le contenu de ce cycle professionnel est décidé par les partenaires sociaux de chaque branche avec l’administration comme ici en France, sauf quune latitude beaucoup plus grande est possible. Par exemple, le diplôme qualifiant pour le service de restaurant se prépare en une année seulement, alors que pour la cuisine il se fait en deux années. Si pour un métier donné il faut 2000 heures, il y aura 2000 heures. Des différenciations sont aussi laissées à la discrétion des régions (gouvernements autonomes). Ces cycles de formation se caractérisent par une prédominance de l’enseignement pratique, quant aux matières générales, elles sont  axées sur les métiers.

Un  élève cuisinier espagnol va avoir au moins 4 fois plus de présence dans la cuisine du lycée que ses collègues français et il effectuera aussi plus de stages en entreprise. Les écoles sont très ouvertes sur des intervenants extérieurs : les chefs étoilés de la zone y donnent régulièrement des cours, alors quen France, malheureusement, ils se désintéressent le plus souvent de la formation.

Les passerelles entre les niveaux sont grandement facilitées par des classes de remises à niveau pour celui qui veut réintégrer le lycée classique ou un bac technique dans sa branche.  

La formation hôtelière initiale est très qualifiante, et donc très attractive. L’effort financier sur la qualité et la diversité des matières premières est flagrant, alors que chez nous, ce budget est devenu une variable d’ajustement.

Je sens bien quen France une réforme de ce type déclencherait une levée de bouclier énorme : Comment ? Vous ne voulez que des travailleurs incapable de réfléchir, malléables et corvéables à merci ?

Au final, on préfère diriger vers les LEP des élèves, par un écrémage négatif avec une orientation qui tient plus de la loterie que de la vocation, et leur imposer des cours qu’ils n’écouteront pas. La volonté est louable, mais à vouloir faire trop de chose en même temps, on ne réussit ni à faire de bons travailleurs manuels, ni de bons citoyens avisés. Je m’étonnais un jour auprès d’un professeur de français de CFA (centre de formation d’apprentis) du fait qu’il avait choisi de faire lire en classe un chapitre par semaine du Grand Meaulnes d’Alain Fournier. Il me paraissait évident que pour ces jeunes ayant une culture assez pauvre, – constituée par la  télévision et les radios ciblées, le romantisme un peu désuet de ce magnifique ouvrage risquait de ne pas accrocher. Sa réponse fut : « alors, vous pensez que parce qu’ils sont apprentis, ils n’ont pas droit à la littérature ? »

Le résultat  est que pour ces jeunes, la lecture est synonyme d’ennui et de labeur plus que de plaisir, alors qu’un choix plus en phase aurait pu en amener un certain nombre à apprécier un jour la littérature.

De la même manière, l’apprentissage manuel, s’il est riche, choisi et aimé, stimule l’intellect et il est porteur de curiosités dun champ beaucoup plus large. Ces sujets sont compliqués, et je ne revendique pas d’avoir raison, mais cela devrait pouvoir être débattu sans ostracisme idéologique d’aucune sorte.

Le système de nos voisins est en place depuis assez longtemps pour que nous puissions voir ses forces et ses faiblesses, et nous en inspirer le cas échéant.

 

À propos de archestratos

le blog d'un aubergiste, c'est à dire hôtelier, restaurateur et cuisinier de la france profonde. Syndicaliste, humaniste, democrate
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2 réponses à L’éducation du marmiton

  1. Cher monsieur L’aubergiste,

    Vous nous avez cuisiné là un excellent article. Votre éclairage permet de saisir que l’absence d’une politique culturelle et éducative puissante entraîne des pans entiers de l’économie et en particulier celui de la restauration dans une impasse.
    Créer de la valeur ajoutée demande un minimum d’investissement sur le futur, les politiques finiront-ils par se réveiller?

    Bien à vous

    XD le reste orateur libre

  2. Mouth dit :

    Je ne peux qu’apprecier la partie denoncant le manque d’investissement dans l’education de nos futures cuisiniers. Mais je ne peux m’empecher de m’en vouloir en arrivant plus bas, lorsque je me rend compte que par une une ecriture fort bien mené, je me suis laisser aller de l’appreciation de quelques journalistes anglais, à la necessité de couper les apprentis, encore plus tot qu’ils ne le sont deja, du cursus general.

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