Je suis naturellement européen puisque je suis hôtelier.
Je connais des hommes et des femmes dans nombre de pays d’Europe, et j’ai de l’affection pour un certain nombre d’entre eux. Je pense avec émotion à Anne et Morten que leur grand âge n’autorise plus à quitter leur petite île Danoise, à Pablo le sociologue espagnol qui m’explique préférer l’armagnac au whisky car c’est infiniment meilleur pour sa goutte, à John le journaliste sportif anglais qui m’épatera toujours par sa grande culture cycliste et rugbystique, à Birgit et Thomas, randonneurs allemands qui connaissent mieux que moi les chemins de mon pays. Je pourrais en citer beaucoup d’autres avec qui j’ai passé des soirées en discussions et je sais combien nous sommes proches, malgré, et avec nos différences. A la chute du communisme à l’Est, j’ai pensé à l’immense curiosité que devaient avoir ces peuples de venir découvrir notre pays, – j’étais impatient de les recevoir. Ils n’ont pas encore investi mon modeste hôtel situé en marge des grands flux touristiques, mais je ne désespère pas de voir le jour où ils sauront tout sur Notre-Dame, les châteaux de la Loire et le Mont Saint-Michel.
Je suis naturellement européen parce que mon hôtel a bénéficié par le passé de plus de 30 000 euros de subventions, puisqu’il se situe dans une région qui était un peu en retard. Maintenant ces fonds vont plutôt vers les nouveaux pays membres. Mais s’ils les aident à se développer harmonieusement, plus vite j’aurai la visite de ces Tchèques, Roumains ou Bulgares que je ne connais pas encore. Cet argent-là, on m’a un peu caché qu’il était européen, Ce n’est pas un député européen qui me l’as remis, mais mon conseiller général qui s’est vanté de me l’avoir fait obtenir, en plus de ce que lui m’avait donné.
Dans l’immense chantier qu’était l’Espagne des années 90, on voyait partout le drapeau étoilé de l’Europe. Aucun espagnol ne peut ignorer ce qu’il doit à la communauté, alors que chez nous c’est le Conseil général ou régional qui investit pour nous. Quid des fonds européens qui pourtant sont dans toutes les salles des fêtes, dans tous les trottoirs de nos villages et dans tous les chemins de montagne ? Par la faute de nos élus locaux, l’Europe est uniquement synonyme d’« emmerdements maxima ». C’est-à-dire tous les règlements sanitaires parfois excessifs, – au détriment des façons de faire ancestrales, les règlements de protection de la nature nécessaires, – mais insuffisamment travaillés avec la population locale, et donc ressentis comme liberticides.
Je suis naturellement européen parce que les élèves d’écoles hôtelières en Bac professionnel ont un stage obligatoire à l’étranger, et j’en connais qui sont revenus transformés d’écosse ou de Roumanie. Il arrive aussi que des apprentis, parents pauvres de la formation, bénéficient de fonds pour faire des stages à l’étranger.
Je suis naturellement européen parce que je me souviens de mon père. A son retour d’outre-Rhin, libéré des stalags, il gardait une abomination des nazis, mais il pouvait parler avec tendresse de certains allemands, montrer du respect aussi pour les techniques qu’il avait vu appliquer dans leur agriculture. Pour preuve, de retour en France, il s’en inspira dans sa vie d’agriculteur. Si une même façon de concevoir la vie, même avec des histoires différentes, nous réunit, autant élargir les frontières, cela nous renforce et pourrait faire que jamais ne revienne l’horreur.
Rappelons-nous plus souvent les motivations des fondateurs, et mettons en exergue tout ce que l’Europe a déjà fait pour chacun d’entre nous.