Retraite! Retraites?

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Il est tant de livres que je n’ai pas eu le temps de lire, il y a tant de sentiers que je n’ai pas parcouru et il y a même tant de mots que je voudrais écrire… J’aimerais pouvoir appuyer sur la touche pause ! Pour toutes ces raisons, je me voyais bien prendre ma retraite à 60 ans. Le législateur en a décidé autrement ; je vais essayer d’expliquer pourquoi je le regrette.

Dans des papiers de famille, j’ai retrouvé sur un morceau de journal jauni la nécrologie d’un grand-père que je n’ai pas connu, mais dont j’ai hérité le prénom. Il y était écrit qu’une nombreuse assistance l’avait accompagné à sa dernière demeure, dans sa quatre-vingt-deuxième année. « Il fut sa vie durant et jusqu’à ces dernières semaines, un travailleur acharné. Sa serviabilité affable et enjouée lui avait valu l’estime de tous ses compatriotes et des clients de son établissement. Il était ancien combattant de 14-18 et fut pendant 22 ans conseiller municipal. » Que fut la vie de cet homme, né sous Mac Mahon, sorti de l’école à douze ans pour aider aux champs ? Quoi d’autre que 70 ans de travail,  seulement entrecoupé par le service militaire et deux ans de grande guerre, (à l’arrière pour être déjà vieux), jusqu’à ce que son fils aîné soit tué en première ligne ? A la fois paysan et mari d’aubergiste, il vécut une succession de jours de labeurs sans week-ends ni vacances. Lui aurait-on demandé, à l’issue de sa vie, s’il fut heureux, qu’il aurait certainement répondu oui. Fier d’avoir eu une épouse aimante et de beaux enfants, malgré les drames, fier comme d’une Légion d’honneur d’avoir été un travailleur acharné, et fier d’avoir été respecté par la communauté villageoise. Ses joies ? Instant quotidiens à faire sauter ses enfants sur les genoux, – veillées d’hiver au coin de l’âtre, – ou journées de foire en portant le costume de son mariage. Ses loisirs ? Ce mot même lui était peut-être inconnu ! Les livres, les vacances, les voyages, les chaises longues, c’était pour le châtelain devant qui il enlevait le béret, car il le pensait d’un autre monde. Depuis 1946, il a touché une retraite misérable. Même s’il en avait été autrement, il était bien trop tard pour lui apprendre à occuper ses jours autrement qu’en travaillant. Enfant des Trente Glorieuses, je devrais m’estimer heureux de ne revenir qu’à 62 ans et non à 65 ou 67, comme le font nombre de pays voisins ? Non, au risque de vous étonner : « Non ! »  Outre mon cas personnel (à 62 ans, j’aurai travaillé 44 ans), j’estime que cette mesure est une régression sociale qui marque : – l’échec complet de notre société depuis 40 ans, – et la pauvreté d’imagination de nos dirigeants, qu’ils soient politiques, intellectuels ou syndicaux.

Si mon grand père, avec une nourriture saine et une vie active au grand air a vécu jusqu’à 82 ans, les ouvriers de sa génération dépassaient rarement soixante-dix ans. C’est pour ne pas avoir de mourants au travail que Bismarck, en Allemagne, avait inventé les retraites calculées pour offrir une année ou deux de repos. En France, il fallut attendre François Mitterrand pour recevoir une marge de temps permettant d’avoir une vie après le travail. Et que je sache, personne ne s’en est plaint depuis trente ans.  L’argument général des réformateurs est que l’espérance de vie a été considérablement augmentée ; mais à part mon amie bloggeuse Mamouchka  je ne vois personne s’interroger sur le fait que c’est peut- être le fait d’arrêter plus tôt qui a permis de vivre plus vieux. Le fait que la France se soit hissé au  cinquième rang de ce classement mondial n’est-il pas à considérer ?

En sens inverse, le travail a changé du tout au tout. S’il s’est amélioré en termes de durée (et peut-être aussi pour cette raison), il est devenu souvent oppressant psychologiquement : productivité accrue sans en recueillir les fruits, inquiétude de ne pas être au niveau des modernisations permanentes, et pour les salariés se retrouver au chômage. Les petits entrepreneurs, commerçants et agriculteurs sont souvent noyés dans les méandres administratifs et les charges : ils envient, à tort ou à raison, les générations précédentes pour qui tout semblait plus simple. Toujours pressé sur son tracteur, stressé par les cours internationaux du maïs ou du lait, le paysan qui travaille seul les terres de mon grand-père et d’au moins quatre de ses anciens voisins, ne pourra pas arriver, en travaillant, à l’âge de mon aïeul. Mon grand-père, lui, prenait le temps de tirer les grives dans les vignes, de faire un brin de causette avec le facteur, ou aux grosses chaleurs, de faire une sieste sous un pommier, en attendant de ramasser les foins.

Si l’on persiste dans la même logique, l’injustice de la nouvelle loi et de celles qui, à n’en pas douter, viendront derrière, est bien plus large que l’inégalité homme-femme souvent évoquée. C’est une injustice de classe. Jusqu’à un passé récent, seuls les aristocrates, – rejoints ensuite par les rentiers, avaient accès à la culture, aux loisirs et aux voyages. Une éducation de qualité pour tous, suivie par les congés payés, ont fait naître ces envies chez de nombreux travailleurs manuels. Entre 60 et 70 ans ils voyagent, jardinent, font du bénévolat et sont souvent avides de se cultiver ; le succès des universités populaires en est une preuve. Quand on sait que l’espérance d’être en bonne santé est de 62 ans seulement, on voit que ces années sont primordiales à l’accomplissement d’une vie telle que les hommes de progrès du vingtième siècle ont pu un temps l’imaginer. Il faudrait un peu plus d’imagination et de générosité aux députés, aux sociologues et autres penseurs, qui se réalisent totalement dans leurs professions, pour comprendre ce point de vue.

Le développement économique d’après-guerre ne s’est-il pas aussi bâti sur le désir de temps libre ? Après les infrastructures lourdes, n’est-ce pas l’électroménager qui libère du temps, la voiture qui permet de se promener, puis tous les éléments de loisir, de confort, de bricolage, de relations et de culture qui ont boosté le capitalisme ? Depuis trente ans on nous a vendu la civilisation des loisirs : maintenant il faudrait y renoncer ?!

Après avoir posé ces questions plutôt d’ordre philosophique, comment fait-on alors pour  trouver le financement ? On fait comme le gouvernement du Général l’a fait dans une France dévastée et affamée après la guerre : la solidarité ! Croyez-vous que la création de la sécurité sociale et la généralisation des retraites  en 1945 se soient faites sans effort ? Les cotisations sur les salaires sont passées de 10 à 30%. Il faut dire que la représentation patronale de l’époque n’était pas en situation de négocier. Cela devrait être bien plus facile maintenant que la France est globalement riche. Mais il apparait que nos dirigeants, quels qu’ils soient, ont bien plus peur d’une révolte des riches que d’une révolution des pauvres. Le risque, nous dit- on, est que nombre des premiers quittent le pays. Ils ne le feront pas, sauf si la révolution toujours sanglante et destructrice des deuxièmes les y oblige. Ce paradoxe choque le réformiste au sens positif que je suis. Pourquoi ne pas augmenter les cotisations, et en contrepartie bloquer l’augmentation des loyers, poste qui depuis dix ans à augmenté de 3 ou 4% l’an, au point de devenir le poste le plus coûteux pour les ménages ? Pourquoi ne pas faire plus participer les revenus du capital ?

J’ai appris qu’en France, la fourchette entre les grosses et les petites retraites était plus large que chez nos voisins. Pourquoi ne pas les lisser ? Durant ses vingt dernières années de travail, celui qui a gagné plus de huit ou dix mille euros s’est installé dans la vie ; il a acheté son habitation et peut-être même une autre secondaire. Ayant fait des économies, il n’a peut-être pas besoin de toucher à la retraite plus de trois ou quatre fois ce que touchera le smicard. J’attends donc la réfutation suivante : il a cotisé à la hauteur de son salaire !!! Bien sûr : chacun dans ce pays est attaché au système par répartition entre génération, uniquement s’il est certain de récupérer ses billes, plus sûrement que par la capitalisation liée aux aléas boursiers. Où est la solidarité qui devrait nous empêcher de voir l’insupportable : des femmes de ménages de 70 ans ou des vieux messieurs récupérant des fruits blets dans nos poubelles ?

Dans une société de plus en plus inégalitaire, la retraite devrait être un moyen de redistribution. Pourquoi ne pas rétablir des droits de succession qui ont été considérablement réduits? Je ne parle pas des petites successions ; et je considère que ce qui peut faire partie d’un patrimoine affectif, une maison, de la terre pour un paysan, soient exonérés. Mais je souhaite qu’au dessus, – le capital surtout, serve aux retraites. L’héritage perpétue les inégalités et nuit au dynamisme de la société. La mesure serait indolore aux défunts, car on n’a jamais vu un coffre-fort suivre un corbillard…

Je n’ai participé à aucun cortège ; ce n’est pas trop ma culture. Et je me vois mal crier « tous ensemble, tous ensemble » avec des gens qui défendent nombre de régimes spéciaux. Pourquoi ne pas les supprimer tous, y compris ceux que les politiques se sont scandaleusement octroyés?

Je ne sais pas si ces mesures sont envisageables économiquement, – je n’ai pas les compétences pour l’affirmer, mais je pense qu’elles seraient acceptables au sein d’une société apaisée. Être certains pour les plus démunis d’avoir un minimum de dignité pour leurs vieux jours : et le sentiment pour les plus riches d’y avoir contribué.

Utopies ?

À propos de archestratos

le blog d'un aubergiste, c'est à dire hôtelier, restaurateur et cuisinier de la france profonde. Syndicaliste, humaniste, democrate
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2 réponses à Retraite! Retraites?

  1. Mamouchka dit :

    Tout est une question de lien social qui structure un groupe…ou pas !
    Faut-il vivre les uns à coté des autres (chacun pour soi, Dieu pour tous) ou vivre les uns avec les autres en mutualisant les « grosses dépenses » ?
    Après tout, très récemment, un secteur économique a su nous faire prendre en charge ses déficits sans jamais vouloir partager ses dividendes (parachute et stock-option) du temps de sa splendeur… ceux-là même qui exigent des réformes drastiques et contre-productives socialement.
    En effet, nombres d’intervenants confondent la durée passée au labeur (dont vous êtes éjectable passé 55 ans), les fonds versés aux caisses pour ceux déjà en retraite et la richesse produite par la « masse salariale »…
    Il y a également la malhonnêteté de cloisonner les difficultés alors qu’en terme de choix de société tout se tient.
    Par exemple :
    – réformer la retraite des salariés du régime général en oubliant de dire que cette « caisse » verse des fonds pour les régimes spéciaux déficitaires structurellement est spécieux,
    – réformer la médecine du travail en lui ôtant sa liberté de diagnostique et de proposition de solution pour le salarié est contraire à la charge de l’Etat du service de santé publique,
    – réformer les remboursements médicaux par le service public au point de promouvoir les mutuelles privées pas toujours « mutualiste » est discriminant.

    J’adhère à votre article. Il a le mérite de faire prendre conscience aux lecteurs du « progrès social » à travers les générations. La généalogie est à la mode mais je constate que peu de « chercheurs » s’intéressent à la vie de leurs ancêtres. Seul compte la géographie pour mieux s’inscrire dans une « tradition » pour ne pas dire une « communauté », ce qui m’apparaît une erreur.

    Mamouchka.

  2. Jean Luc MONTANT dit :

    Bonsoir,

    Je suis d’accord avec votre article.
    Un peu plus de solidarité avec les personnes à bas revenu et tout ce tumulte disparaitrait de lui-même.
    La différence d’échelle de revenu entre les années 1950 et maintenant est telle que cette échelle est devenue une échelle de pompier !!
    Les barreaux sont si nombreux qu’il est quasiment impossible de les compter.
    Un juste partage des richesses calmerait tout le système social.
    Malheureusement, les revenus des gens « ordinaires » stagnent et les « nantis » sont de plus en plus riches et assoiffés de pouvoir et de richesse !
    Il y a quelques décennies, quand les gens partaient à la retraite, ils entassaient (s’ils en avaient) leurs argents et leurs bons du trésor entre les piles de draps dans les armoires.
    C’étaient les enfants qui en profitaient…
    Aujourd’hui, les vieux vivent !
    Ils voyagent et profitent avec ardeur de leurs retraites et par la même, continuent à faire fonctionner notre économie.
    De plus, en libérant leurs postes de travail ils permettent aux jeunes d’avoir des C.D.I. et de participer aussi au développement économique en achetant des biens de consommation, en achetant des biens mobiliers et immobiliers.
    C’est tout le B.T.P et l’industrie qui en profitent !
    Enfin, via les taxes et les impôts cela induit des rentrées supplémentaires d’argent dans les caisses de l’état.
    Alors pourquoi ne pas appliquer ces formules simples ?
    Tout simplement parce que pour le patronat, il est intéressant de disposer d’une main d’oeuvre précaire (les jeunes) souvent plus diplômée que l’ancienne génération et qui est prête à accepter n’importe quel salaire de misère pour survivre…
    Vive le progrès !!!
    Cordialement,
    jean

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