Le nouveau Bac professionnel pour la restauration,  L’escroquerie.

 5721849-cuisiniers-dans-une-cuisine-d-39-un-restaurant2

« Le ministre de l’Éducation nationale, Luc Chatel, a assuré aujourd’hui que la réforme du bac professionnel Hôtellerie restauration entrerait en vigueur à la rentrée 2011, malgré l’hostilité de certaines organisations professionnelles. S’exprimant devant plusieurs dizaines de professionnels de l’hôtellerie réunis par le cabinet MKG, le ministre a prévenu qu’il « ne lâcherait pas » et que « cette réforme entrera bien en vigueur à la rentrée 2011 ». Il estime que la réforme des programmes liée à la réduction à 3 ans au lieu de 4 du temps de formation pour obtenir un bac professionnel permet « d’élever le niveau » des élèves, regrettant que « certains représentants » de la profession « s’interrogent sur cette stratégie ».

Ces professionnels « considèrent que si les élèves arrivent moins diplômés en entreprise, on peut les payer moins cher », a expliqué le ministre. Consultés sur cette réforme et surtout sur la refonte des programmes, les représentants des salariés et des employeurs se sont prononcés contre, reconnaît le principal syndicat du secteur, l’Umih.

Les professionnels craignent que le CAP, considéré comme très adapté au secteur, soit dévalorisé au profit du Bac pro, moins adapté, explique-t-on à l’Umih. La plupart des filières de baccalauréat professionnel ont adopté le bac pro en trois ans depuis la rentrée 2009, mais quelques filières, à l’instar de l’hôtellerie restauration, ont jusqu’en septembre pour le mettre en place »

Cette dépêche de l’AFP du 2 mars dernier n’a pas eu, à mon avis, le succès qu’elle méritait. Si les médias généralistes et les humoristes s’intéressaient un tant soit peu à l’enseignement professionnel, ils auraient relevé l’affirmation selon laquelle la suppression d’une année d’étude sur quatre permet d’élever le niveau des élèves, et cette déclaration aurait valu à Luc Chatel la palme de la stupidité politique de l’année. Dans ce cas, pourquoi ne pas étendre cette idée aux médecins ou aux pilotes de ligne, puisque cela fonctionne ?

Il est bien entendu que la seule motivation du ministre, aux dépens de toute autre, est la suppression de milliers de postes de professeur. En bon petit soldat du sarkozisme, il est certain qu’il ne lâchera pas. Et pourtant, lors de la dernière réunion de la 17éme commission paritaire consultative, c’est toutes les organisations syndicales, patronales et salariales unies, qui ont mené le combat contre la réforme.

Le ministre tente maintenant de faire passer les représentants de la profession pour des obscurantistes moyenâgeux. Cela fut quelquefois le cas par le passé ; j’en ai connu quelques-uns qui soutenaient cette thèse de la formation minimum. Cela fait cependant bien longtemps que l’UMIH et les autres organisations réclament et soutiennent une formation de qualité, – il est vrai, avec beaucoup de tâtonnements et de fluctuations, et sans jamais parler d’une seule voix. Selon que les responsables syndicaux sont administrateurs d’écoles hôtelières publiques ou privées, de centres de formation d’apprentis publics ou privés, certains et certaines directement sous leurs responsabilités, la priorité est donnée, ici aux CQP, ailleurs au BP, et là au Bac PRO. Je défends l’idée qu’il y ait un choix des formations suivant les besoins et les niveaux des élèves et qu’il y ait des passerelles jusqu’au niveau supérieur.

Le nouveau Bac pro fait l’unanimité contre lui parce que c’est une escroquerie, escroquerie dont les premières victimes sont les élèves et leurs parents. Alors que les premières classes devaient être expérimentales, il s’en est ouvert partout ! Les jeunes finissent maintenant les stages de leur deuxième année de scolarité. Tous les avis, y compris des plus compétents des inspecteurs généraux, ont été négatifs. Malgré cela, Monsieur Chatel, – ministre de pacotille qui prend ses directives auprès des hauts fonctionnaires de Bercy, annonce l’entrée en vigueur de la réforme à la prochaine rentrée… Il faut savoir que pendant ces deux premières années, sans pratiquement aucune directive (si ce n’est de se débrouiller), les enseignants ont navigué à vue. La pression de la profession a seulement abouti à ce que le diplôme soit dédoublé entre la salle et la cuisine. Cela inquiète d’ailleurs les gestionnaires d’établissements qui craignent de ne pas arriver à remplir les sections de salle. Le référentiel étant basique, les professionnels ayant accueilli des stagiaires peuvent témoigner de l’extrême faiblesse des acquis après deux ans de scolarité. Comment pourrait-il en être autrement avec seulement trois séances de travaux pratiques par quinzaine ? La durée des stages est certes importante, mais sans connaissance minimum, ils sont à mon avis moins bénéfiques.

On a détruit un diplôme réservé aux meilleurs élèves de CAP ou de BEP, qui leur permettait de gagner en qualification professionnelle comme en formation générale. On a voulu monter un trompe-l’œil afin d’attirer plus aisément vers la sortie des études, les élèves de troisième qui par le passé auraient été dirigés vers un BEP. Et pour ces élèves qui ont des moyennes entre 9 et 11,5, aller en seconde générale vers le BAC était impensable.

La supercherie est là : la filière professionnelle étant mal vue, l’orientation vers un CAP ou un BEP était souvent vécue comme un échec. Le mot magique BAC valorise les enfants et rassure les parents qui voient leurs petits génies reconnus à leur juste valeur. Comme ce diplôme présente un niveau beaucoup plus faible que son grand frère généraliste, les conséquences seront très graves. Les jeunes de 15 ans embarqués dans ce cursus, et qui sont souvent ignorants des réalités du métier qu’ils ont choisis se retrouveront à 18 ans avec un joli diplôme peu qualifiant. Ceux qui seront passionnés, j’espère les plus nombreux, soit sur le tas, en partant du bas, soit en faisant des mentions complémentaires, devraient s’insérer dans le métier. De toute façon, la passerelle vers les BTS leur sera impossible. Mais les autres ? La moitié peut-être, que deviendront-ils ? Ceux qui n’avaient pas les qualités requises, ceux auxquels personne n’aura rien dit, pour ne pas vider les classes, ou enfin ceux qui se rendront compte avec la maturité que ce n’était pas leur vocation,

C’est du mépris pour la jeunesse de notre pays.

On aura beau jeu d’accuser encore la profession de désenchanter les jeunes.

Si l’éducation nationale s’est assouplie en généralisant les contrôles en cours de formation et les barèmes complaisants, au point de donner les diplômes à la quasi-totalité des postulants, le monde de l’entreprise, dans tous les secteurs, s’est durci. Je le regrette vraiment, mais l’économie concurrentielle ne permet pas de distribuer des salaires, sans l’efficacité qui l’accompagne.

Le corps des enseignants est aussi victime de cette escroquerie, car le but de l’opération est d’en éliminer une bonne partie. J’en connais beaucoup, de ces enseignants, mais j’ai une pensée particulière pour ceux de ma génération qui sont devenus des amis. Protégés par leur statut, ils ne risquent rien pour eux-mêmes, mais ils sont profondément désabusés. Ils comptent tristement les années qui les séparent de la retraite, face à leur impuissance devant la déliquescence de l’institution et l’usure face aux réformes successives. Ils ont le sentiment quelque part d’être complice du mauvais sort fait aux jeunes pour qui, quoi que l’on dise, pratiquement tous se sont dévoués.

Il est urgent de redonner la priorité à l’éducation. La casse du système éducatif français n’est plus supportable.

À propos de archestratos

le blog d'un aubergiste, c'est à dire hôtelier, restaurateur et cuisinier de la france profonde. Syndicaliste, humaniste, democrate
Cette entrée a été publiée dans formation, education, politique, vie syndicale. Vous pouvez la mettre en favoris avec ce permalien.

2 réponses à Le nouveau Bac professionnel pour la restauration,  L’escroquerie.

  1. Simon dit :

    Les paroles écrites ci dessus correspondent au constat alarmant et inquiet de toute la filière de formation et , chose neuve, de nombreux restaurateurs sont aujourd’hui solidaires et compréhensifs avec le corps enseignant, reconnaissant l’utilité qu’a celui ci dans le niveau des élèves. Amputés de la liberté et de la cohérence de leur expertise les profs de pratique professionnelle sont inquiets, non pas pour leur statut, mais pour la qualité de l’enseignement qu’ils auront à dispenser et surtout les répercussions sur le savoir faire en entreprise.Merci pour ce billet pragmatique et hélas vraiment réaliste.

  2. bertaud dit :

    Merci pour ce superbe article qui reflète la réalité sur le terrain. Enfin quelqu’un qui dit ce que beaucoup de personnes pensent.
    La nouveauté aussi dans ce Bac Pro, c’est l’arrivée de la mercatique pour les professeurs de cuisine et de restaurant…………………
    Alors que le référentiel n’est pas sorti, les ouvrages scolaires sont déjà dans les casiers des profs, cherchez l’erreur………………
    Le choix de l’élève doit se faire à la rentrée en seconde. le tronc commun n’existe plus.
    Pour palier, au déficit du secteur « restaurant », certaines académies vont maintenir le tronc commun sur un trimestre ou une année…………………
    22 semaines en entreprise sur les 3 ans.
    Le diplôme sera en CCF, diplôme « maison ».
    Chaque lycée fera sa pub sur les pourcentages de réussite……………..
    J’encourage un haut responsable de l’éducation à passer une semaine avec des gamins de16-17 ans……………

Les commentaires sont fermés.