Lettre à mon banquier

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Cela fait maintenant plus de vingt ans que l’on se connaît. Pas toi personnellement, parce qu’ils ont une drôle d’habitude à la banque : c’est qu’ils changent le directeur et le chargé daffaires environ tout les quatre ans. Pourtant, j’ai vu ta pub qui disait : « une relation durable, ça change la vie ». Enfin, c’est à toi que j’écris ; au dessus de toi, je ne sais pas s’il y a quelqu’un, ou alors je n’ai jamais été présenté. Tu m’as parlé une fois d’un méga-ordinateur qui dictait les règles ; mais je nen sais pas plus.

Donc depuis toujours, tu m’as aidé, il faut le reconnaître ; sans toi, ma petite entreprise ne serait jamais devenue ce qu’elle est. Tu m’as souvent prêté de l’argent, je te l’ai toujours rendu rubis sur l’ongle. Tu m’as bien embêté aussi, largement plus que mes fournisseurs qui étaient toujours gentils, compréhensifs et souvent patients et enfin largement plus que mes employées. D’ailleurs je n’ai  jamais mis les pieds dans un tribunal de prud’hommes !

Bon, je râlais un peu, je me disais que tu étais dans ton rôle et que moi j’étais peut-être un peu trop confiant. J’avais bien compris que tu ne comprenais pas grand-chose à mon job. Mais je convenais que c’était un challenge de plus pour m’obliger à être vertueux.

Par exemple : je n’ai jamais réussi à te faire admettre que mon activité à la campagne est saisonnière, – les bilans comptables et les ordinateurs ne sont pas comme les cerises, ça ne connaît pas la nature et la météo ! Tu m’as bien accordé une ouverture de crédit pour passer les frimas de l’hiver, mais tu l’as rognée au fil du temps jusqu’à ce qu’elle ne représente plus que la valeur d’une semaine de chiffre d’affaire. Heureusement, pas mauvais bougre, tu ne disais trop rien quand je dépassais les limites.

Et puis, tout d’un coup ! Incroyable ! Moi qui croyais (à t’entendre me donner des leçons de bonne gestion) que tu connaissais  ton boulot à fond, j’apprends que tu as fait n’importe quoi. Tu as  joué à la loterie avec l’argent que tu n’avais même pas, – tu as fait confiance plus qu’à moi à des escrocs de niveau international, – tes coffres seraient remplis d’actifs pourris et toxiques bien plus que les frigos du pire gargotier de mes collègues. Il se dit même que c’est toi le responsable des malheurs nouveaux qui arrivent. Le gouvernement a dû te donner des milliards de mon argent pour te renflouer. Y-es tu allé aussi timide et confus que moi à ton guichet par le passé ?)

J’ai pensé que ça allait te servir de leçon, et comme mon entreprise n’a pas encore trop souffert de la crise,  j’étais confiant.

Que nenni ! Tu es devenu nerveux, tu me colles plus que jamais. Alors que c’est pour moi qu’on t’a refilé tout cet argent – qui est aussi le mien ! Il ne faudrait pas pousser le bouchon trop loin.

Si tu dois réapprendre ton métier, viens chez moi, tu te rappelles ?, « le bon sens près de chez toi ». Je te montrerai les murs de ma maison bien solide, et ma cuisine qui produit des bonnes choses, réelles, avec les meilleurs produits de notre agriculture, achetés à un prix qui ne fâche personne. Tu verras mes employés heureux parce qu’ils me font confiance ; et ils savent que souvent je gagne moins queux. Je te montrerai la vraie économie, pas la virtuelle à qui tu t’es vendu.

J’ai appris, moi, à être philosophe ; et je sais que je m’en tirerais toujours avec mes mains. Mais je pense à mes collègues plus jeunes, et moins solides sur tous les plans, et j’en ai de la peine.

En y réfléchissant bien, j’ai de la compassion pour toi. Pour tes employés aussi, – je me demande s’ils n’auraient pas besoin d’un petit soutien psychologique ? Excuse-moi de te le dire, – je ne veux pas te rabaisser, frère humain, mais dans ce système tu n’es qu’un pion, et tu pourrais être broyé comme les autres. Fais attention de à ne pas être pris entre deux feux et transmets, si tu le peux, ma lettre à tes grands chefs. Je me demande si, bardés de leurs millions de stock-options et autres parachutes dorés, ils peuvent encore entendre les mots du cœur. Espérons-le, pour le salut de leurs âmes.

À propos de archestratos

le blog d'un aubergiste, c'est à dire hôtelier, restaurateur et cuisinier de la france profonde. Syndicaliste, humaniste, democrate
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Une réponse à Lettre à mon banquier

  1. Nicolas Guillon dit :

    espérons le…

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